Philippe Azoury, Libération, Mercredi 26 avril 2006
Deux films qui revendiquent la grâce sans prononcer une ligne de dialogue sortent aujourd'hui. Ils battent pavillon Pointligneplan, qui, à la façon d'une galerie, s'est imposé comme le lieu de passage, large comme un delta, entre le cinéma et les arts plastiques. Justement, la croyance selon laquelle le cinéma est l'endroit où l'on se passe de mots remonte au temps du muet, quand des cinéastes férocement avant-gardistes (Epstein, Delluc, etc.) posaient les fondements du 7e art nouvellement théorisé. La voir revenir quatre-vingts ans plus tard, n'a rien d'un anachronisme snob : s'obliger à mener tout un film dans une sorte d'état aphone, est un moyen libre en figure de s'obliger à faire quelque chose des corps que le cinéma convoque devant l'écran, ne plus traiter le paysage comme un papier peint, et réentendre les sons plus fort que jamais. Avancer, en d'autres mots.
Alunissage. Silenzio, c'est à partir de cette injonction que sur un plateau de cinéma, un plan peut commencer. Et il y a longtemps, comme par hasard, qu'on n'avait pas vu une séquence d'ouverture à vous donner à ce point la sensation de vertige : en une série de plans tombés d'une autre planète, Christian Merlhiot fait atterrir sur un aéroport japonais une toute jeune adolescente occidentale (drôle de corps, entre deux âges, mal à l'aise : c'est Lili Merlhiot) escortée de trois poneys. Avec un tel degré immédiat d'imaginaire que cet atterrissage sur fond de vrombissement sonique des Canadiens de A Silver Mont Zion ressemble à un alunissage, à une façon de poster une image de cinéma dans une enveloppe avec pour seule adresse le futur. Difficile après pour Merlhiot de tenir la barre (il faut dire qu'elle est placée haut les astres), le film toutefois tient sa route : celle que l'adolescente fera avec un Japonais qui l'emmène à son père. Ils ne peuvent communiquer par le langage, ils vont le faire par un séquençage burlesque du corps.
Arnold Pasquier est connu pour être le plus sentimental des cinéastes plasticiens contemporains. Celui qui aime a raison a été tourné à la faveur d'une villa Médicis hors les murs, Pasquier déplaçant son cinéma de São Paulo, où cohabitent trois garçons, en combinaison amoureuse triangulaire, jusqu'à Buenos Aires, où l'un des trois se retrouve, en solitaire.
Celentano, Mistinguett. Comme chaque fois qu'il place une musique (ses fétiches italiens, Tenco, Celentano, Mina), et plus encore ici quand il ose une comédie musicale folle en faisant jouer une impromptue interprétation doublée du Boulevard des Italiens de Mistinguett, Pasquier est formidable. En revanche (le reproche vaut aussi pour Merlhiot), ses références obligées à l'urbanisme, aux musées, l'entravent ; il n'est pas arrivé à mener sur ces lieux communs de l'art contemporain le même travail de réinvention des rapports qu'il a bâtis autour du couple et de la musique. Ils restent chez lui ce qu'ils sont en train de devenir de toute façon : les insignes automatiques, désactivés, d'un monde de l'art qui perd immédiatement ses forces dès qu'il se met à ressembler à un cahier des charges.

Silenzio. Film français de Christian Merlhiot avec Satô Kentarou, Lili Merlhio, Sâto Junichi, Sâto Noriko. (1h15.)

Celui qui aime a raison. Film français d'Arnold Pasquier avec Marcos Gallon, Osmar Zampieri, Walmir Pavam, Danilo Rabelo. (1h06.)
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