J’entretiens avec l’Italie une relation ancienne, faite de voyages, d’amitiés, et de sa culture artistique.
Elle débute lors d’un premier voyage avec mes parents, autour de mes dix ans. La « première fois » fut en dans le nord de l’Italie. A Venise, je me souviens d’avoir boudé tout le chemin entre le parking près de la gare et la place Saint-Marc pour une raison qui m’échappe aujourd’hui, les yeux baissés vers le sol. Et soudain, sous les arcades, la piazza San Marco surgit, vaste, fermée par la basilique et le campanile. C’est sans doute mon premier souvenir d’architecture.
L’année suivante, mes parents, un couple d’amis et leurs enfants louent une villa en Toscane. C’est le point d’ancrage pour visiter Florence et les villes alentour. Ce sont les photographies en noir et blanc prises par mon père avec son Rolleiflex qui fixent aujourd’hui les lieux et les situations : la place de Sienne, une fontaine à Rome, même si je garde quelques souvenirs précis, les thermes de Caracalla, associés au vol de nos affaires dans la voiture garée sur le parking.
Je ne revins en Italie que plusieurs années plus tard. En 1985, à dix-sept ans, je voyageais avec trois amis, connaissances récentes liées à une jeune Française rencontrée quelques mois plus tôt, Sylvie Ugolini. Elle me séduisait, m’inspirait, et m’encourageait à créer et coudre mes propres vêtements. Elle parla de moi à un styliste installé à Senigallia, qui m’invita à présenter une collection de vêtements dans le cadre d’un défilé en plein air, à Ancône, au mois d’août. Je créais au mois de juillet vingt costumes sur le thème de l’Égypte.
Ce voyage fut marqué par une rencontre, celle d’Angela Allegrezza. Sylvie m’avait déjà parlé d’elle, de cette jeune mannequin, amie proche du styliste Enrico. Je tombai immédiatement sous son charme. Avec elle, je découvris un monde de nuits, discothèques entre Rimini et Ancône, les virées en voiture le long de la mer Adriatique. Cette amitié amoureuse fut un éveil. Elle me donna envie de créer pour elle, d’abord des vêtements, des photographies, et mon premier film, l’année suivante Angela, Denis et moi (1986).
Ce film, une esquisse, mêlait scènes documentaires et fragments de fiction, tourné en une journée entre Riccione et Senigallia. Ce n’était pas un film très abouti, mais déjà l’expérience d’un cadre, d’un rapport sincère au corps et à l’espace, geste fondateur de mon rapport au cinéma. Senigallia s’imposa dès lors comme un lieu double, concret, mais aussi imaginaire, pays désiré, point sensible de ma « carte du tendre ».
La disparition brutale d’Angela, quatre ans plus tard, dans un accident de voiture en Autriche, fut une tragédie. Avec elle, je construisais un projet amoureux et artistique. Elle était déjà présente dans mes défilés, dans mes premiers films, et jusque dans mon premier texte, Période simple, que j’envisageais de porter à l’écran. Sa mort a transformé ce projet en une œuvre en absence, un film sans elle.
À partir de cette rencontre fondatrice, je découvris d’autres paysages d’Italie. En 1989, l’année même de la disparition d’Angela, je visitai Bologne grâce à une nouvelle amie, Simona Mambrini, étudiante en littérature. Puis, au fil des années et de mes moyens, presque toute l’Italie s’ouvrit à moi, de ville en ville, du Nord au Sud. Une Italie qui continue d’inspirer ma vie et mon travail, réserve de paysages, d’attentions, une possibilité de se projeter dans un ailleurs à la fois accessible et multiple – proche par cette culture partagée, mais toujours légèrement déplacé, comme toutes les étrangetés : la langue, les coutumes, la singularité des villes.
Les films rassemblés dans l'onglet Arnold en Italie tiennent du film de voyage (Le voyage en Italie), du documentaire (Belvédère), de l'installation vidéo (paesi…), de l'essai (Le train bleu) et de la fiction (Borobudur). Ils contribuent à cette cartographie intime, en mouvement, du pays que je désire.

Villa Médicis, Rome, tournage du film L'amour moderne [Rome/São Paulo], 10 avril 2021.

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