Cyril Neyrat – Cahiers du Cinéma N°612 – Mai 2006
Extrait de l’article à propos de Celui qui aime a raison & Silenzio
Pointligneplan poursuit sa politique de distribution d’un « cinéma situé à la lisière des arts plastiques ». Reste à savoir ce qui se passe à cette lisière. Neutralisation réciproque ou invention d’objets sans pedigree ? La réponse varie d’un film à l’autre, leur sortie commune invitant à comparer les deux projets jumeaux. Même expatriation exotique : en Amérique du Sud, principalement à Sao Paulo pour Arnold Pasquier, au Japon une fois de plus pour Christian Merlhiot. Même parti pris du silence : puisqu’on ne parle pas la langue, autant s’en priver et se donner comme contrainte le refus du dialogue. Même décision, donc, de parier sur les corps, leur relation au paysage et aux intérieurs. (…) Celui qui aime a raison : Marcos et Osmar vivent ensemble à Sao Paulo. La rencontre de Walmir inaugure un ménage à trois, vite interrompu par la disparition de l’intrus. Chacun y répond par une habitation chorégraphique de l’espace. L’un se livre à des parades amoureuses en intérieurs, les corps élastiques jouant de l’architecture des lieux. L’autre s’adonne à la flânerie urbaine : c’est alors le cinéaste qui, en variant les paysages traversés par le même déplacement du jeune homme, qui fait danser la ville. Double effet de la greffe chorégraphique : les corps découvrent un langage précis et nuancé, les lieux imposent leurs structures et leurs matières. Loin de décliner un principe formel unique, Pasquier séduit par la variété généreuse des boutures. À plusieurs reprises, un refrain de variété italienne insuffle au corps le mouvement affectif. Lors de la saynète d’opérette improvisée dans la rue, une chanson de Mistinguett vient, comme chez Resnais, snatcher les personnages, ventriloques ravis de passer du silence à la gouille d’avant-guerre. Dans une boîte de nuit presque vide, un lent stroboscope imprime son battement amoureux aux trois hommes qui se tournent autour. Aux antipodes du mime et de sa stéréotypie transparente, l’intrigue sentimentale de Celui qui aime a raison parviennent, grâce à la danse et malgré le silence, à moduler les infimes inflexions du désir et à faire apparaître les formes d’une ville. (…).
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