Isabelle Regnier, Le Monde
Le cinquante-sixième Festival du film a montré un art de plus en plus hétérogène, entre fiction commerciale et expérimentation formelle. Pour sa 56e édition, achevée le 18 août, le festival de Locarno a offert un panorama d'un art de plus en plus hétérogène. La compétition était dominée par la fiction commerciale influencée par l'esthétique télévisuelle, mais les autres sections rendaient compte de l'extraordinaire foisonnement de formes qu'a entraîné le développement de la vidéo. La compétition internationale est une vitrine qui réunit les cinématographies reconnues (France, Etats-Unis, Inde, Japon, Corée, Italie, Grande-Bretagne, Argentine, Iran), et celles venues de pays que l'actualité place sur le devant de la scène (Bosnie, Pakistan, Roumanie). Ainsi le jury a-t-il décerné le Léopard d'or à Khamosh Pani, de la Pakistanaise Sabiha Sumar, qui suit la montée de l'intégrisme musulman. On relèvera les très belles performances de Holly Hunter et des deux jeunes Evan Rachel Wood et Nikki Reed, dans Thirteende Catherine Hardwicke, comme celle de l'Argentin Gabriel Fernandez Capello, dont l'étrange présence donne son épaisseur aux Gants magiques de Martin Rejtman. Quelles que soient les maladresses de Mister V, le film se distingue par l'ambition cinématographique de sa réalisatrice, Emilie Deleuze, qui se confronte avec humilité et talent au défi de faire des chevaux les héros de son film. Avec les films déjà évoqués de Jean-Paul Civeyrac, Arnaud des Pallières, Vincent Dieutre, Michelangelo Frammartino, et de nombreux autres, la section Cinéastes du présent a fait souffler l'esprit de création. On y a vu les deux premiers films de la série Tous ont besoin d'amour : Arnold Pasquier chorégraphie des corps muets glissant dans des rues désertes, s'enroulant autour d'arbres. Les sentiments, le désir, le manque, s'expriment avec une grande poésie par les gestes, des chansons, ou de curieux filets de texte qui s'échappent de leur bouche. Des corps aussi, au centre de Cendres de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, ancré sur une cérémonie de deuil. Progressivement la caméra quitte le social, les plans d'ensemble froids, pour se fixer sur l'intime, des fragments de corps, des gestes qui évoquent l'oppression, la perte, un désir d'évasion. On retiendra aussi Nos, premier long-métrage de la portugaise Claudia Tomaz. Dans une lumière et une ambiance sonore d'une grande douceur, elle filme les corps solitaires d'un homme et d'une femme, qui se rencontrent grâce à une annonce postée sur une borne Internet dans le métro. Impossible d'oublier la beauté fulgurante de Tokyo. Sora, premier film, là encore, du Japonais Ishikawa Hiroshi. Dans des teintes bleu-gris, à partir des histoires banales de six jeunes filles que rien ne relie sinon, de manière ténue, quelques lieux de la ville, le film glisse de récit en récit et forme le kaléidoscope mélancolique d'une ville dure, habitée par des personnages à la beauté fragile. A travers ses différentes sections, Locarno rend compte des directions dans lesquelles s'aventure le cinéma, notamment grâce à la vidéo. Avec Juste après l'orage, Jean-Claude Rousseau dilate le temps pendant un quart d'heure. Dans Mes Toits et moi,Anne Morin signe un autoportrait émouvant à partir de l'histoire qui la lie à des maisons, mêlant l'enquête au film de famille et à certains procédés du cinéma expérimental. Autre documentaire intrigant, Capturing the Friedmans, d'Andrew Jarecki, revient sur le drame qui a mené un père et un de ses fils en prison pour pédophilie. Le film donne la parole à ceux qui ne l'ont pas eue et utilise le cinéma pour revenir sur l'histoire d'une famille qui s'est filmée en vidéo pendant des années.
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