Une série de photographies • 1996/2000
À la fin des années 80, je récupère un petit appareil photo de la marque Mixox (35GT), léger et équipé d’un objectif de 35mm. Je m’en empare pour composer une série de photographies prises bras tendu, en compagnie de mes amis. Cet appareil fragile me réservera quelques déconvenues, notamment lorsque son obturateur se bloque, la réparation de l'appareil coûtant 500 francs.
Je garde un souvenir précis d’une photo que je n’aurai jamais : celle prise par mon amie Angela Allegrezza. C’était un après-midi de juin 89, au Mistral, le bar situé au pied du Théâtre de la Ville à Paris, en compagnie de Natalia De Barros. La chorégraphe Pina Bausch se lève pour quitter l’établissement. Je demande à Angela de prendre une photo avec le Minox. Elle se précipite sur le trottoir, cadre à la volée et déclenche. Pina Bausch fait une moue embarrassée, mais sourit également. Angela revient, honteuse de son geste de groupie maladroite. Pas de quoi, ma belle, la pellicule n’est pas impressionnée ; l’obturateur s’est encore une fois bloqué et toute la bobine revient noire du laboratoire.
Pendant quelques années, je réalise une série d’images sans autre motivation que le plaisir de saisir un instantané de présence auprès de ma famille, mes amis et amants. Ces photographies, constituant une « suite » de portraits, serviront de base à l’installation Nous n’allons pas mourir, produite et présentée au Fresnoy en 1998. En raison des pannes répétées de l’appareil, je finirai par l’abandonner, remplacé par des machines plus lourdes. Puis, avec l’arrivée des smartphones, je joindrai mon geste à ce concert mondialisé des « selfies », m’amusant à proclamer que j’en ai inventé le concept.
« Revoir une image », c’est parier sur un retour vers une photographie issue de mes archives, réalisée par moi-même ou un membre de ma famille, ou un.e ami.e. À chaque image, j’adjoins un commentaire, une légende aussi factuelle que possible, pour faire émerger, du souvenir, la présence d’un instant suspendu à l’oubli.
Le geste de « revoir une image » devient ici une tentative de réactiver la mémoire enfouie, non pas en la forçant, mais en la laissant émerger à travers une description. Cette démarche invite à interroger le rapport entre l’image, l’oubli, et le souvenir : que reste-t-il d’un instant photographié lorsque les émotions qui lui étaient liées s’estompent ? En adjoignant une légende factuelle, je propose un « lieu » qui permet à l’image de « parler » par elle-même, libérant une interprétation plus universelle. Cet « instant suspendu » devient alors un point de rencontre entre un regard passé et présent, mais aussi entre l’intime et le collectif.