[English below]
Dance, fools, dance ! est une page qui regroupe un ensemble de documents audiovisuels (films, captation de spectacles, performances ; participation à des spectacles en tant qu’interprète, émission de radio pour France Culture) constitués à partir d’un choix effectué parmi toutes mes réalisations et collaborations en lien avec la danse ou, plus largement, avec la thématique du corps en mouvement et du corps dans l’espace, notamment urbain. J’y retrace rétrospectivement comment et pourquoi la danse est devenue un motif récurrent de mon travail de réalisateur, intimement imbriqué à mon intérêt pour le cinéma.
Issu d’une famille cultivée, sensible au cinéma, à la littérature et aux arts en général, j’ai été initié très tôt à la cinéphilie par mon père, dont les conseils et les goûts ont façonné les miens. Le théâtre a également marqué mon imaginaire : Le Bal du Théâtre du Campagnol, La Nuit des rois par le Théâtre du Soleil ou encore Le Soulier de Satin mis en scène par Antoine Vitez comptent parmi mes grandes émotions de spectateur. La danse contemporaine entre en scène plus tard, coïncidant avec l’émergence de la « nouvelle danse française » qui commençait alors à circuler sur les scènes des théâtres et dans le Centre Éducatif et Culturel de la ville de banlieue où je vivais. C’est à Yerres que j’ai vu les premiers spectacles de Dominique Bagouet et d’Angelin Preljocaj.
Ma mère, correspondante du Centre Pompidou, facilitait l’accès à de nombreux événements artistiques, notamment des spectacles de danse. J’ai découvert au Centre Georges Pompidou les créations du Groupe de Recherche Chorégraphique de l’Opéra de Paris et, poussé par cette curiosité, j’ai souscrit un abonnement au Théâtre Contemporain de la Danse. C’est ainsi que j’ai vu Je ne vois pas la femme cachée dans la forêt de Mathilde Monnier, au Théâtre de la Bastille, le vendredi 19 février 1988 – une expérience décisive dont j’ai conservé la trace dans mon agenda scolaire. Au Théâtre de la Ville, un autre pourvoyeur magistral de spectacles, j’ai découvert en juin 1988 Les Œillets (Nelken) de Pina Bausch, une révélation qui a définitivement orienté mon regard et mon travail.
Ma cinéphilie, quant à elle, s’est d’abord construite autour des acteurs et des actrices, ces figures d’identification et d’admiration qui peuplaient mon imaginaire. J’ai grandi avec les films du patrimoine diffusés à la télévision : la rétrospective des films de Charles Chaplin, à sa mort, m’a donné envie d’être acteur. Je connaissais par cœur la première heure des dialogues des Enfants du paradis, et je dévorais les biographies de stars comme Greta Garbo, Marlène Dietrich ou Errol Flynn. Mon amour du cinéma ne se limitait pas aux salles obscures : privé de magnétoscope jusqu’à mes 21 ans, je nourrissais mon imaginaire à travers les livres, les scénarios, et parfois une simple image qui suffisait à faire naître un film rêvé. Le Palace à Brunoy, salle d’art et d’essai où j’ai travaillé successivement comme assistant, caissier, projectionniste puis directeur, a été un lieu fondamental dans ma formation. C’est là que j’ai suivi l’actualité cinématographique et vu les rétrospectives consacrées à Friedrich Murnau, Orson Welles ou Carl Theodor Dreyer.
La danse contemporaine a modifié en profondeur ma manière de voir et de concevoir le cinéma. Un soir, au Centre Pompidou, j’ai assisté par hasard à À nos héros d’Angelin Preljocaj. J’y ai découvert l’expression d’une présence inédite : des corps jeunes et beaux, sans paroles, dans un espace scénographique épuré, baigné de lumières et de musique contemporaine. Cela rejoignait mes préoccupations en arts plastiques et audiovisuels, que j’explorais au lycée et à la faculté Saint-Charles. Quelques semaines plus tard, au CEC de Yerres, muni d’une caméra cachée, j’ai capté clandestinement ce spectacle, inaugurant ainsi une approche personnelle de la danse filmée.
Par l’intermédiaire d’Annie Sellem, proche de Mathilde Monnier, j’ai commencé à filmer des captations de spectacles et des ateliers pédagogiques menés par des chorégraphes. Cette activité, bien que menée dans des conditions précaires (caméra Sony Handycam fruste, absence de banc de montage), m’a permis d’élaborer un langage cinématographique autour du corps en mouvement. J’ai ainsi documenté des ateliers de Josef Nadj, réalisé un film intégré à un spectacle de Jean-Christophe Paré sur L’Après-midi d’un faune, et produit diverses captations pédagogiques pour l’Île-de-France Opéra et Ballet. Ces travaux, bien que confidentiels, ont jeté les bases d’une réflexion que je poursuivrai dans ma propre production cinématographique.
Mon rapport à la danse a également pris un tour plus physique lorsque j’ai participé, en tant qu’interprète, à divers projets chorégraphiques. Après un atelier dirigé par Zaza Disdier au lycée de Montgeron, j’ai suivi un stage avec Mark Tompkins qui m’a conduit à réaliser le film C’est une colline en 1990. J’ai ensuite travaillé avec Gérard Gourdot, puis avec Ami Garmon, Régis Huvier, Felix Ruckert et Julie Desprairies. Bien que n’ayant jamais envisagé une carrière de danseur, ces expériences ont nourri mon approche du mouvement à l’écran et ont renforcé ma collaboration avec des interprètes tels que Maria Donata D’Urso, Marika Rizzi, Liz Young, Alessandro Bernardeschi, Didier Bastide, et bien d’autres encore.
Depuis, la danse contemporaine irrigue mon travail de cinéaste sous des formes variées : documentaires, fictions, essais. Mon film Celui qui aime a raison (2005), tourné au Brésil, en est un exemple : porté par des danseurs, il privilégie un langage visuel où le récit naît de l’interaction entre les corps et l’espace, sans recours au dialogue. Cette approche découle directement de mes années passées à filmer des danseurs et à observer comment le cadre cinématographique peut amplifier l’expression corporelle. Si le visage reste un vecteur privilégié des affects au cinéma, la posture, le déplacement et la marche racontent tout autant que la voix.
Ma production cinématographique, abondante mais discrète, s’est souvent développée en marge des circuits institutionnels, dans des formats divers, parfois en autoproduction. Si cette position m’a parfois limité en termes de moyens, elle a aussi préservé une liberté d’exploration formelle. En définitive, cette œuvre composite est traversée par un motif central : le corps en mouvement, à la croisée de la danse et du cinéma.

Autoportrait dans la salle de répétition du Lichtburg, à Wuppertal [2022-02-18]. C'est dans cet ancien cinéma du quartier de Barmen que la chorégraphe Pina Bausch a créée ses spectacles à partir de la saison77/78, pour la pièce Renate wandert aus.

Dance, fools, dance! is a page that brings together a collection of audiovisual documents (films, recordings of performances, stage appearances as a performer, and a radio broadcast for France Culture). These materials have been selected from my body of work and collaborations related to dance or, more broadly, the theme of the body in motion and its presence in space, particularly in urban settings. Looking back, I trace how and why dance became a recurring motif in my filmmaking, deeply intertwined with my passion for cinema.
Coming from a cultured family with a strong appreciation for cinema, literature, and the arts, I was introduced to cinephilia early on by my father, whose guidance and tastes shaped my own. Theater also played a significant role in my imagination: Le Bal by Théâtre du Campagnol, Twelfth Night by Théâtre du Soleil, and The Satin Slipper directed by Antoine Vitez count among my most profound experiences as a spectator. Contemporary dance entered my life later, coinciding with the rise of the “Nouvelle Danse Française,” which was beginning to appear on theater stages and at the Educational and Cultural Center in the suburban town where I lived. It was in Yerres that I first saw performances by Dominique Bagouet and Angelin Preljocaj.
My mother, a correspondent for the Centre Pompidou, facilitated access to numerous artistic events, particularly dance performances. At the Centre Georges Pompidou, I discovered the work of the Groupe de Recherche Chorégraphique de l’Opéra de Paris, and, driven by curiosity, I subscribed to the Théâtre Contemporain de la Danse. That is how I attended Je ne vois pas la femme cachée dans la forêt by Mathilde Monnier at the Théâtre de la Bastille on Friday, February 19, 1988—an experience so decisive that I recorded it in my school agenda. At the Théâtre de la Ville, another major provider of outstanding performances, I saw Nelken (Carnations) by Pina Bausch in June 1988, a revelation that permanently shaped my artistic vision and work.
My cinephilia was first built around actors and actresses, figures of identification and admiration that populated my imagination. I grew up with classic films broadcast on television: the retrospective of Charles Chaplin’s films after his death made me want to be an actor. I memorized the first hour of the dialogues from Children of Paradise and devoured biographies of stars such as Greta Garbo, Marlene Dietrich, and Errol Flynn. My love for cinema extended beyond the darkened theaters—without a VCR until I was 21, I fed my imagination through books, scripts, and sometimes just a single image, which was enough to spark a dreamed-up film. Le Palace in Brunoy, an art-house cinema where I successively worked as an assistant, cashier, projectionist, and then director, played a fundamental role in my education. There, I kept up with contemporary cinema and attended retrospectives on Friedrich Murnau, Orson Welles, and Carl Theodor Dreyer.
Contemporary dance profoundly transformed my way of seeing and conceiving cinema. One evening at the Centre Pompidou, I happened to attend À nos héros by Angelin Preljocaj. I discovered an unprecedented expression of presence: young, beautiful bodies, silent, in a minimalist scenographic space bathed in light and contemporary music. This resonated with my visual arts and audiovisual concerns, which I was exploring in high school and at Saint-Charles University. A few weeks later, at the CEC in Yerres, armed with a hidden camera, I clandestinely filmed this performance, marking the beginning of my personal approach to filming dance.
Through Annie Sellem, a close associate of Mathilde Monnier, I began recording performances and educational workshops led by choreographers. This work, though carried out under precarious conditions (a basic Sony Handycam, no editing facilities), allowed me to develop a cinematographic language around the moving body. I documented workshops by Josef Nadj, created a film incorporated into a performance by Jean-Christophe Paré based on Afternoon of a Faun, and produced various educational recordings for Île-de-France Opéra and Ballet. Though these projects remained confidential, they laid the groundwork for a reflection I would continue in my own cinematic production.
My relationship with dance also took a more physical turn when I participated as a performer in various choreographic projects. After attending a workshop led by Zaza Disdier in high school, I trained with Mark Tompkins, which led to the creation of my film C’est une colline in 1990. I later worked with Gérard Gourdot, then with Ami Garmon, Régis Huvier, Felix Ruckert, and Julie Desprairies. Although I never considered a career as a dancer, these experiences enriched my approach to movement on screen and strengthened my collaborations with performers such as Maria Donata D’Urso, Marika Rizzi, Liz Young, Alessandro Bernardeschi, Didier Bastide, and many others.
Since then, contemporary dance has infused my filmmaking in various forms: documentaries, fiction, and experimental works. My film Celui qui aime a raison (2005), shot in Brazil, is an example: driven by dancers, it favors a visual language where narrative emerges from the interaction between bodies and space, without reliance on dialogue. This approach directly stems from my years of filming dancers and exploring how cinematic framing can amplify bodily expression. While the face remains a primary vehicle for emotions in cinema, posture, movement, and walking convey just as much as the voice.
My body of work, prolific yet discreet, has often developed on the margins of institutional circuits, in diverse formats, sometimes through self-production. While this position has at times limited my resources, it has also preserved a freedom of formal exploration. Ultimately, this multifaceted oeuvre is bound by a central motif: the body in motion, at the intersection of dance and cinema.
revenir