Gaël Pasquier, Les Lettres Françaises, juillet 2006, en supplément du journal L'Humanité.
Sur la ligne de partage entre cinéma et danse.
Celui qui aime a raison constitue une rare proposition esthétique de la place que certains films peuvent tenir en marge de la production cinématographique actuelle, à la frontière commune au cinéma et à d’autres pratiques artistiques. Pouvant relever de l’installation ou de la performance, la première séquence est programmatique : un homme seul déballe des guirlandes lumineuses et les accroche en rideau avec du ruban adhésif dans une pièce pourvue de miroirs. Au cours de ses déplacements et de ceux de la caméra, les reflets fragmentent son corps et le multiplient par deux, trois ou quatre. En quelques minutes, l’équation narrative et formelle sur laquelle se bâtit le film est posée : aux personnes que l’on voit à l’écran, il convient souvent d’en ajouter une, située hors champ et dont la présence nous sera révélée par l’image au cours de la scène. Ainsi ce qui se joue apparemment seul, à deux ou à trois, ce jouera respectivement à deux, trois ou quatre.  Le cadre est l’outil de cette démarche laissant surgir des corps que l’on croyait absent d’une situation (de drague par exemple), mais aussi des éléments de danses, de comédies musicales, de montages sonores ou visuels, transposant au niveau de la forme ce système d’intrusion. Le cloisonnement des genres et des arts devient caduc. Semblant préférer au trop le pas assez (économie de moyen, absence de dialogue ou de psychologie…), le film défie les évidences du premier regard et les renverse, prônant davantage la possibilité de l’ajout au retrait.
En conséquence, entre la ville et la forêt, les agencements sexuels et amoureux à deux ou à trois, le silence et le chant, Arnold Pasquier ne choisit pas. Les petits blocs d’images et de temps qu’il met en scène s’équilibrent sur un fil ténu, hésitant entre deux positions parfois contraires. Elément symptomatique : la trame narrative du film s’organise autour de l’apparition d’un tiers dans une relation de couple dont les membres rencontrent à tour de rôle, comme un fait exprès, le même amant. Ce balancement entre chacun des protagonistes, fait écho à l’organisation des plans : à la fin du film, un téléviseur, petit carré de mouvements encastré dans une étagère, diffuse une chorégraphie agitée, violente, de Pina Bausch. Elle capte le regard dans un étonnant contraste avec l’immobilité du reste du champ. Le rapport s’inverse au plan suivant : le téléviseur occupe tout l’écran derrière une nuque statique. Le visage de la chorégraphe semble parler à celui qui la regarde ; seule la texture de l’image indique la mise en présence de réalités distinctes.
    Cette ouverture à l’ensemble des possibles rend inopérante les habituelles problématiques sur la rencontre des arts. Ici, la danse et le cinéma ne se parasitent pas l’un l’autre. La première dispose de moments autonomes (l’un des protagonistes est danseur) mais s’insère aussi dans le fonctionnement narratif d’autres scènes. Cette articulation ambiguë se retrouve dans les chorégraphies où l’intentionnalité de certains gestes et de certains déplacements, reste imprécise : accompagnement  de ceux de l’autre ou esquive ? De l’équivoque naît l’émotion qui parcours ce film élégant et beau, parfois drôle, dont les mots d’ordre pourraient  être : inventons, expérimentons !
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