Le 3 mars 1994, je suis à Calcutta, en Inde. Je viens d’arriver dans la capitale du Bengale et je me promène dans le parc Victoria. Je m’assieds sur un banc, face à une vaste pelouse qui s’improvise en terrain de cricket. Je vois un journal rouler en boule dans ma direction. Sans raison, je pense à Pina Bausch et je me dis : « on parle de Pina dans ce journal. » J’arrête le journal du pied, le ramasse, tourne les quelques pages déchirées, et là, dans les annonces culturelles rédigées en anglais, j’apprends que le Goethe-Institut invite le Tanztheater pour des représentations de Carnation, je ne fais pas tout de suite le lien, je ne connais pas la traduction anglaise d’Œillets. Je me précipite à l’adresse de l’institut où l’on m’informe que la dernière représentation a eu lieu la veille. Espérant croiser la compagnie sur le départ, je me rends au théâtre, ils sont partis, déjà en route pour Madras, pour d’autres représentations. Pour moi, le voyage serait trop cher, impossible, j’y renonce. J’entre dans le théâtre par le portail ouvert des décors, à l’arrière de la scène, je marche sur le plateau, je croise un technicien qui m’invite pour la représentation du soir. La chorégraphe indienne Chandralekha présente son dernier spectacle Yantra – Dance Diagrams, en hommage à Pina Bausch.
« Revoir une image », c’est parier sur un retour vers une photographie issue de mes archives, réalisée par moi-même ou un membre de ma famille. À chaque image, j’adjoins un commentaire, une légende aussi factuelle que possible, pour faire émerger, du souvenir, la présence d’un instant suspendu à l’oubli.
Le geste de « revoir une image » devient ici une tentative de réactiver la mémoire enfouie, non pas en la forçant, mais en la laissant émerger à travers une description. Cette démarche invite à interroger le rapport entre l’image, l’oubli, et le souvenir : que reste-t-il d’un instant photographié lorsque les émotions qui lui étaient liées s’estompent ? En adjoignant une légende factuelle, je propose un « lieu » qui permet à l’image de « parler » par elle-même, libérant une interprétation plus universelle. Cet « instant suspendu » devient alors un point de rencontre entre un regard passé et présent, mais aussi entre l’intime et le collectif.