
2017 • HD/DCP • 41'
Un film de Arnold Pasquier
Assisté de Osmar Zampieri
étalonnage : Ishrann Silgidjian
Mixage : Rémi Mencucci
Avec Ana Teixeira, Juliana Santos & Gerson Dias, Felipe Stocco, Osmar Zampieri, Arnold Pasquier, Rodrigo Andreolli, Marcos Gallon
Moyens techniques pour le mixage, avec la participation du Le Fresnoy, Studio national des arts contemporains
Les chorégraphies sont écrites par les interprètes
Tourné à São Paulo et à Uberlândia au Brésil dans des architectures de Lina Bo Bardi
Un film réalisé dans le cadre de l'exposition Lina Bo Bardi, Enseignements partagés, École nationale supérieure d'architecture de Paris-Belleville
L’été, à São Paulo, il pleut à dix-sept heures. Ce film est une interprétation chorégraphique de l’architecture de Lina Bo Bardi par huit danseurs qui se sont prêtés au jeu d’inventer pour chaque lieu une danse où l’eau, sous toutes ses formes, rencontre un mouvement.
In summer, in São Paulo, it rains at five o’clock in the afternoon. This film is a choreographic interpretation of Lina Bo Bardi’s architecture, performed by eight dancers who embraced the challenge of creating a dance for each location—where water, in all its forms, meets movement.
Le film Une pluie d’été a été réalisé dans le cadre de l’exposition Lina Bo Bardi, enseignements partagés, produite par l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Belleville en partenariat avec l’École d’Architecture de la Sapienza de Rome. Dès le début du projet, j’ai été sollicité par la commissaire Élisabeth Essaïan pour réaliser une série de films documentaires sur les enseignements ayant conduit à la création des objets présentés dans l’exposition. Ces films ont été conçus comme un parcours didactique, offrant un éclairage sur la conception de l’exposition à travers les perspectives des enseignants, des étudiants et des collaborateurs de Lina Bo Bardi.
L’exposition Lina Bo Bardi, enseignements partagés s’est distinguée par son approche collaborative. Les maquettes, mobiliers et structures d’exposition ont été conçus lors d’ateliers pédagogiques impliquant vingt-huit enseignants et cent quarante-deux étudiants des deux écoles partenaires. En tant qu’enseignant en vidéo à Paris-Belleville, j’ai documenté ce processus pendant près de deux ans, suivant les ateliers de construction et réalisant des portraits des étudiants et de leurs travaux. Un voyage à Rome m’a permis de compléter ce travail en filmant la fabrication des maquettes d’étude de la Casa de Vidro par les étudiants de la Sapienza.
Les films réalisés pour l’exposition ont été pensés comme un parcours à la fois didactique et historique, mettant en lumière les enseignements, les processus de création et l’héritage de Lina Bo Bardi à travers les témoignages de ses collaborateurs et de chercheurs. Une partie de l’exposition était également dédiée à des interprétations contemporaines de son œuvre, notamment à travers des réinterprétations de son mobilier.
Un voyage au Brésil m’a permis de tourner les entretiens pour le film Les mots de Lina, ainsi que les séquences brésiliennes de l’installation vidéo Visite. Ce séjour m’a également donné l’opportunité d’envisager la réalisation d’un court métrage, conçu comme une suite au film de fiction Celui qui aime à raison, tourné douze ans auparavant. Après plusieurs tentatives, j’ai finalement réalisé un film de danse en huit parties, dont six ont été tournées dans des architectures emblématiques de Lina Bo Bardi : l’esplanade du MASP (Musée d’Art de São Paulo), une halle du SESC Pompeia, le jardin de la Maison de Verre, la salle du Teatro Oficina et l’église Espirito Santo do Cerrado à Uberlândia.
Le MASP, Musée d’Art de São Paulo, la danse de Juliana Santos et Gerson Dias
Le MASP (1968) est l’icône architecturale de São Paulo. Situé sur l’avenida Paulista, il se distingue par ses piliers rouges, qui lui confèrent une force expressive remarquable. Il abrite une prestigieuse collection d’art ancien, présentée sur des chevalets de verre, dispositif muséographique qui a fait sa renommée.
J’ai choisi de filmer la danse sur l’esplanade qui entoure le bâtiment, un espace urbain essentiel dans la typologie et l’histoire de la ville. Conçue comme une agora, une scène, un lieu de rassemblement, elle est devenue l’épicentre des manifestations sociales de São Paulo, régulièrement envahie par une foule contestataire, mais aussi investie par des foires, des marchés et divers événements culturels. Sous l’auvent de la dalle du bâtiment suspendu, cet espace sert aussi d’abri à de nombreux sans-abri qui y installent leurs tentes.
Nous avons tourné tôt un matin une danse de forró interprétée par deux étudiants d’Ana Teixeira, que j’avais vus danser chez elle. Juliana Santos et Gerson Dias se sont prêtés au jeu d’une chorégraphie où l’eau intervient comme un élément scénique : deux bouteilles vidées sur la tête des danseurs. Une fois encore, il s’agissait d’un plan-séquence, une prise unique, laissant place à l’inattendu, à l’inespéré, qui pouvait surgir et emplir le cadre.
Le SESC Pompeia, la danse de Felipe Stocco
Le SESC Pompeia (1977) est une œuvre majeure de Lina Bo Bardi. Ce centre social, culturel et sportif se compose des halles d’une ancienne usine de bidons reconvertie, auxquelles s’ajoutent des bâtiments dédiés aux activités sportives, d’une expressivité plastique remarquable.
J’ai choisi de tourner dans l’une des halles, principalement pour la présence d’une rivière-bassin qui traverse l’espace et crée un miroir d’eau où se reflète la structure industrielle du bâtiment.
J’ai rencontré Felipe Stocco alors qu’il dansait dans la pièce Ó de Cristian Duarte. Je lui ai proposé une improvisation dans l’espace de la fontaine. Lors du montage du film, inspiré par la lente marche de l’interprète à travers la halle et par son regard tourné en arrière, m’est venue l’idée d’ajouter la bande sonore de l’ouverture et de la dernière scène de l’opéra-ballet Orphée et Eurydice de Pina Bausch.
J’avais enregistré l’intégralité du spectacle au théâtre d’Épidaure, en Grèce, à l’occasion d’un documentaire réalisé pour l’Atelier de Création Radiophonique de France Culture. La nuit grecque, le chant des grillons, l’appel à Eurydice, la présence même de Pina Bausch dans le public : tout concourt, pour moi, à densifier cette scène d’une émotion discrète, secrète, mais vive.
Igreja do Espírito Santo do Cerrado, Uberlândia – la danse d’Osmar Zampieri
L’église d’Uberlândia (1976) illustre l’intérêt de Lina Bo Bardi pour une écriture architecturale inspirée des méthodes constructives traditionnelles brésiliennes. Elle s’éloigne ici de la monumentalité moderniste pour proposer des espaces modestes, marqués par une attention particulière aux usages vernaculaires.
Nous avons entrepris ce voyage afin d’y tourner des plans pour le film Visite, l’église faisant partie des projets de maquette réalisés à l’école d’architecture de Paris-Belleville.
C’est Osmar Zampieri qui a interprété une danse exploitant la rotondité de la cour, au centre de laquelle se trouve une fontaine. Le miracle de cette scène tient à un événement inattendu : alors que nous répétions pour la troisième fois afin d’affiner les mouvements d’Osmar lorsqu’il se baigne dans la fontaine, un de ces orages brusques et violents s’est soudain abattu sur l’église et sur lui, donnant toute sa légitimité à ce projet de rencontre entre chorégraphie et formes d’eau. C’est cette pluie imprévue qui a donné son titre au film.
Le jardin sous la Maison de Verre – la danse d’Arnold Pasquier
La Maison de Verre (1951), villa construite pour le couple Bo Bardi, est une icône du modernisme brésilien et abrite aujourd’hui la Fondation Lina Bo et Pietro Maria Bardi.
J’avais initialement proposé cette scène à une amie danseuse d’Ana Teixeira, qui n’a jamais répondu à mes messages et sollicitations. Lors d’un tournage pour le film Visite, alors que je répétais la mise en scène sous le volume de la maison, cadrant le célèbre escalier et l’arbre qui perce le plancher, j’ai finalement décidé d’interpréter moi-même une petite chorégraphie de mains, en hommage discret à une photographie emblématique de l’architecte.
Le Teatro Oficina – la danse de Rodrigo Andreolli
Ce théâtre (1990), situé dans le quartier d’immigration italienne de Bixiga, a la particularité d’être construit autour d’une « rue » centrale en pente, depuis la porte d’entrée. De part et d’autre de cet axe-scène, des gradins en échafaudages permettent au public d’assister à une représentation qui investit tous les espaces de la salle, conçue comme une scène totale.
Pour les besoins du film Visite, j’ai filmé un spectacle historique de la compagnie Uzyna Uzona de Zé Celso, Bacante. Ce spectacle musical-monstre de huit heures, inspiré de l’œuvre d’Euripide, est à la fois provocant et charnel, plongeant le spectateur dans un mouvement perpétuel de danses, de chants et de scènes où se télescopent récit mythologique et politique brésilienne.
Osmar Zampieri, qui m’accompagne comme assistant sur ce tournage, me présente à l’issue de la représentation Rodrigo Andreolli, ancien danseur, comme lui, du Ballet de la ville de São Paulo. Il accepte de participer au film. Nous tournons en deux prises un plan-séquence qui débute sous une fontaine-douche au centre de la salle de spectacle et panote le long de l’allée. Rodrigo interprète une danse inspirée du souvenir de L’Après-midi d’un faune de Diaghilev.
La rivière de la Vale do Bambú – la danse de Marcos Gallon
Marcos Gallon m’a invité à passer le Nouvel An dans sa maison de campagne, à 150 kilomètres à l’est de São Paulo. Une rivière longe la propriété avant de se jeter dans un bassin, formant un paysage naturel saisissant, proche de ces forêts primaires brésiliennes.
Marcos n’avait pas particulièrement envie de se remettre à la danse. Depuis plus de dix ans, il a abandonné sa carrière d’interprète pour travailler dans l’une des galeries d’art contemporain les plus influentes de São Paulo. J’ai néanmoins obtenu de lui cette baignade dans la cascade de la rivière, qui vient conclure le film et fait écho à la danse d’Ana Teixeira.
Ici encore, il ne s’agit pas d’une architecture de Lina Bo Bardi, mais d’une expérience de la nature, d’une immersion au contact d’une présence végétale et aquatique, toujours à l’œuvre dans les projets de l’architecte.





















LINA BO BARDI : ENSEIGNEMENTS PARTAGÉS
RÉCIT D’UNE FABRIQUE
Parmi les femmes architectes de sa génération, Lina Bo Bardi (née à Rome en 1914 - décédée à São Paulo en 1992) a longtemps été la moins connue. Comparée à des figures comme Charlotte Perriand, Ray Eames, Jane Drew, Aino Aalto ou Alison Smithson, auxquelles la critique a consacré de nombreuses pages dans les livres et manuels, Lina Bo Bardi est restée durant une longue période une créatrice « de niche ». Et ce, malgré une œuvre architecturale conséquente — près d’une vingtaine de bâtiments réalisés, incluant maisons, musées, théâtres, églises, centres culturels et sportifs — qui la place parmi les femmes architectes les plus prolifiques du XXe siècle.
En s’appuyant sur l’important travail historique mené par l’Oficina Bo Bardi, groupe de recherche du Département d’architecture de Roma-Sapienza, l’exposition Lina Bo Bardi : Enseignements partagés prolonge la connaissance de cette œuvre majeure de l’architecture moderne du XXe siècle. Elle va au-delà de la simple fascination exercée par cette « pionnière », redécouverte à l’occasion du vingtième anniversaire de sa mort et du centenaire de sa naissance.
Lina Bo Bardi : Enseignements partagés s’appuie sur une approche empirique de son œuvre, en privilégiant la médiation pédagogique pour en favoriser la compréhension et la transmission.
Outre les dessins, ouvrages et revues réunis dans le centre de documentation conçu à cet effet, l’exposition est composée d’objets — maquettes, meubles, structures, design graphique, kirigami — spécialement conçus et réalisés en 2016-2017 dans le cadre des enseignements de l’ENSA Paris-Belleville et de Roma-Sapienza. Ces objets entrent en résonance avec le regard d’un photographe — quatorze photographies des œuvres paulistes de Lina Bo Bardi, réalisées en 2013 par Alessandro Lanzetta — et celui d’un cinéaste — onze films d’Arnold Pasquier, produits en 2016-2017. Ces films constituent à la fois une méta-narration de l’exposition, capturant les discussions entre enseignants et les gestuelles des étudiants, mais aussi une immersion dans les lieux de vie et les œuvres de Lina Bo Bardi, à Rome et à São Paulo. Ils incluent des portraits et témoignages de celles et ceux qui l’ont connue ou étudiée, ainsi que des chorégraphies de danseurs traversant ses espaces.
Vingt-huit enseignants et cent quarante-deux étudiants, dont certains issus d’universités partenaires internationales, ont participé à ce projet polyphonique. Nous invitons ainsi le spectateur à découvrir cette exposition dans un parcours non linéaire, lui permettant de composer librement sa propre lecture de la figure et de l’œuvre de Lina Bo Bardi.