J’ai neuf ans, c’est mon premier voyage à Venise, je marche avec mes parents le long des rues qui relient le quartier de la gare à San Marco. Je boude, j’en ai oublié la raison, je fais la tête et je ne lève pas les yeux pendant les 2km du trajet pour rejoindre la Piazza San Marco. Nous passons les arcades qui borde cette place, et je lève enfin les yeux. Je me souviens précisément de cet instant de stupéfaction, l’appel de l’ouverture de l’esplanade, de l’effet de surprise de cette étendue scénographique. Nous avançons en direction de la basilique et du campanile — c’est mon premier souvenir d’architecture.
Ce mouvement de la marche, ce mouvement du regard vers une architecture, je l’associerai plus tard au mouvement de caméra du travelling, que les frère Lumière ont nommé le panorama. Ce panorama, ce travelling est une façon d’embrasser un lieu, un paysage. Je tiens à la polysémie du mot d’embrassement car le cinéma a été pour moi une façon d’embrasser les visages, d’embrasser les corps dans une approche chorégraphique. Donc, la marche, le corps et le visage sont les mots de mon vocabulaire que j’associe à l’architecture. 
Piazza San Marco, Terrasse de la Basilique San Marco, Venise, été 1977. Photographie de vacances, Jean-Claude Pasquier (ou Jiri Sel).
« Revoir une image », c’est parier sur un retour vers une photographie issue de mes archives, réalisée par moi-même ou un membre de ma famille. À chaque image, j’adjoins un commentaire, une légende aussi factuelle que possible, pour faire émerger, du souvenir, la présence d’un instant suspendu à l’oubli.
Le geste de « revoir une image » devient ici une tentative de réactiver la mémoire enfouie, non pas en la forçant, mais en la laissant émerger à travers une description. Cette démarche invite à interroger le rapport entre l’image, l’oubli, et le souvenir : que reste-t-il d’un instant photographié lorsque les émotions qui lui étaient liées s’estompent ? En adjoignant une légende factuelle, je propose un « lieu » qui permet à l’image de « parler » par elle-même, libérant une interprétation plus universelle. Cet « instant suspendu » devient alors un point de rencontre entre un regard passé et présent, mais aussi entre l’intime et le collectif.

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