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[English below]
Ce portrait de moi, à quatre ans, a été réalisé par ma grand-mère paternelle, Yvette Fourez, « tireuse » de profession, c’est-à-dire qu’elle développait des photographies dans des laboratoires, avant l’apparition des machines automatiques. Elle a fait carrière jusqu’à la retraite dans de petites sociétés, souvent familiales, dont me reviennent parfois les noms (Duranti à Paris, Tomasi à Ajacio, Duême à Paris…), l’obligeant, principalement dans les années 40 et 50, à se déplacer en province pour suivre les saisons des vacances et photographier les vacanciers qui se faisaient tirer le portrait dans la rue, en marchant, comme cela se pratiquait à l’époque.
J’ai été, ainsi que mon frère, et après mon père, ainsi que ma mère, un de ses sujets de prédilection. Enfant, j’ai été photographié sous toutes les coutures, véritable « sujet », regardé, cadré, adoré. Si je tiens moins d’elle en ce qui concerne mes aspirations artistiques, car c’est le cinéma et le théâtre qui, enfant et adolescent, ont retenu mes faveurs (transmis par ma mère et mon père), je reconnais à ma grand-mère une transmission du choix du cadre, et surtout, du « temps de regard » nécessaire pour prendre une photographie. Mais, par exemple, je n’ai pas profité de ses connaissances pour apprendre à tirer les photos, alors que mon père s’enfermait régulièrement dans sa salle de bain pour développer ses propres images.
Mis à part ses « chers » sujets, ma grand-mère me faisait profiter de ses voyages pour me montrer des photos de villes et de paysages qu’elle me donnait sous forme de « boîtes » a regarder, lorsque j’allais la voir à la Garenne-Colombes où elle habitait, puis à Nanterre, et enfin à Yerres. Je préférais toujours les personnages, les corps d’hommes et de femmes, moins intéressé par ses vues, qui me semblaient alors désincarnées.
Je n'ai pas eu le temps de connaître et d'apprécier ses paysage, car c'est un patrimoine qui a été, pour une grande part, irrémédiablement perdu. Un malencontreux incendie dans la cave où étaient stockées ses malles en osier a fait disparaître la quasi-totalité de ce patrimoine photographique, que je m’étais promis de mettre en valeur. Restent quelques boîtes sauvées du désastre, ainsi que les photographies de mon frère et de moi, dont nous avions les doubles.
Yvette Louise Mathilde Fourez, née à Paris (16°) le 4 août 1913 et décédée le 4 juillet 1994 à Yerres (91).
This portrait of me, at four years old, was taken by my paternal grandmother, Yvette Fourez, a ‘printer’ by profession, meaning she developed photographs in laboratories before the advent of automatic machines. She had a career until her retirement in small, often family-run businesses, some of which I still remember the names of (Duranti in Paris, Tomasi in Ajacio, Duême in Paris…). This job often required her to travel to the provinces, particularly in the 40s and 50s, to follow the holiday seasons and photograph vacationers who had their portraits taken in the streets, as was common at the time.
I was, along with my brother, and later my father, as well as my mother, one of her favorite subjects. As a child, I was photographed from every angle, a true “subject”—looked at, framed, adored. While I owe less to her in terms of my artistic aspirations, since it was cinema and theater that, as a child and teenager, captured my interest (influenced by my mother and father), I do acknowledge my grandmother’s influence in terms of the framing process and, most importantly, the “time of gaze” necessary to take a photograph. But, for example, I did not take advantage of her knowledge to learn how to print photos, whereas my father would regularly lock himself in the bathroom to develop his own images.
Apart from her “dear” subjects, my grandmother would share her travels with me by showing photos of cities and landscapes, which she would give me in the form of “boxes” to look through when I visited her in La Garenne-Colombes, where she lived, then in Nanterre, and finally in Yerres. I always preferred the people, the bodies of men and women, less interested in her views, which seemed to me, at the time, disembodied.
I did not have the time to know and appreciate her landscapes, as this heritage has, for the most part, been irretrievably lost. An unfortunate fire in the basement where her wicker trunks were stored destroyed almost all of this photographic legacy, which I had promised myself to showcase. A few boxes were saved from the disaster, along with the photographs of my brother and me, of which we still had the duplicates.
Yvette Louise Mathilde Fourez, born in Paris (16th arrondissement) on August 4, 1913, and died on July 4, 1994, in Yerres (91).
« Revoir une image », c’est parier sur un retour vers une photographie issue de mes archives, réalisée par moi-même ou un membre de ma famille, ou un.e ami.e. À chaque image, j’adjoins un commentaire, une légende aussi factuelle que possible, pour faire émerger, du souvenir, la présence d’un instant suspendu à l’oubli.
Le geste de « revoir une image » devient ici une tentative de réactiver la mémoire enfouie, non pas en la forçant, mais en la laissant émerger à travers une description. Cette démarche invite à interroger le rapport entre l’image, l’oubli, et le souvenir : que reste-t-il d’un instant photographié lorsque les émotions qui lui étaient liées s’estompent ? En adjoignant une légende factuelle, je propose un « lieu » qui permet à l’image de « parler » par elle-même, libérant une interprétation plus universelle. Cet « instant suspendu » devient alors un point de rencontre entre un regard passé et présent, mais aussi entre l’intime et le collectif.